La transformation numérique des entreprises est très loin d’être achevée, car tout ce qui a été accompli jusqu’à présent ne correspond qu’à une préparation aux changements, mais pas aux changements en eux-mêmes
Suite aux annonces récentes, la capitalisation boursière de NVIDIA atteint des records (2,2 billiards de $). Ceci illustre parfaitement l’obsession du marché pour l’IA générative, censée être le remède miracle à tous les problèmes des entreprises. Pourtant, nous sommes tous plus ou moins conscients que cette frénésie n’est que la conséquence de l’avènement de la civilisation numérique. Pour s’y préparer, de nombreuses entreprises se sont lancées dans leur transformation numérique, mais ont depuis redéfini leurs priorités avec les événements récents. Une réorientation stratégique compréhensible, mais dommageable, car pendant ce temps-là, la dette numérique se creuse…
En synthèse :
- La transformation numérique n’est plus du tout un sujet d’actualité, car les entreprises et organisations ont d’autres préoccupations (guerres, inflation, permacrise…)
- La période est compliquée, mais les changements de modes de vie impulsés par la généralisation des outils numériques sont irrémédiables
- Des bouleversements systémiques sont en train de redéfinir l’économie et notre société, dont l’IA fait bien évidemment partie, mais n’en est qu’une composante, certainement pas la solution
- Les entreprises vont devoir s’intéresser à nouveau à leur adaptation aux nouvelles conditions de marché, sinon elles vont accumuler une dette numérique qu’aucun modèle génératif ne pourra combler
- La transformation numérique des entreprises est très loin d’être achevée, car tout ce qui a été accompli jusqu’à présent ne correspond qu’à une préparation aux changements, mais pas aux changements en eux-mêmes
Le saviez-vous : Nous parlons de la transformation digitale depuis 2011, l’année où ce terme est apparu dans les médias, même si dans l’absolu, c’est une pratique bien plus ancienne : La transition numérique a commencé il y a 20 ans, nous sommes maintenant dans une phase d’accélération digitale.
Vous l’aurez très certainement remarqué dans le titre de l’article, je ne parle pas de « transformation digitale », mais de « transformation numérique », car c’est le terme officiel, celui qui est utilisé sur le portail officiel (FranceNum.gouv.fr).
Cette distinction lexicale est-elle importante ? Oui, car on ne s’y intéresse plus vraiment…
Plus personne ne cherche à expliquer le bienfondé de la transformation numérique, à tort !
Présentée comme une évidence à l’époque où les indicateurs macro-économiques étaient au vert (avant la COVID), la transformation numérique n’est plus du tout un sujet d’actualité, car les entreprises et organisations ont d’autres préoccupations (guerres, inflation, permacrise…). Pourtant, l’objectif de la transformation numérique est toujours légitime et parfaitement aligné avec les enjeux de notre époque (modularité, frugalité, résilience…).
Ma motivation pour la rédaction de cet article est donc de relancer l’intérêt et la médiatisation de la transformation numérique, car le sujet est plus que jamais d’actualité, et surtout car sa compréhension est loin d’être acquise. Certes, il existe un certain nombre de définitions, mais elles ne me satisfont pas :
- celle du gouvernement : « La transformation digitale n’est ni plus ni moins qu’un ensemble de moyens apportés par les nouvelles technologies pour répondre aux ambitions, à la vision, et à la stratégie des dirigeants d’entreprise. »
- celle de Wikipedia : « La transformation numérique, appelée aussi transition numérique, transformation digitale ou e-transformation, correspond au phénomène de mutation lié à l’essor du numérique, d’Internet et des réseaux sociaux. »
- celle de Google : « La transformation numérique consiste à utiliser les technologies numériques modernes, y compris les différents types de plates-formes cloud publiques, privées et hybrides, afin de créer ou modifier les processus métier, la culture et l’expérience client. Les entreprises sont ainsi en mesure de répondre aux exigences liées à l’évolution de leur secteur et à la dynamique du marché. »
- celle d’Amazon : « La transformation numérique est le processus qu’une organisation applique pour intégrer la technologie numérique dans tous les domaines d’une entreprise, ce processus change fondamentalement la façon dont une organisation apporte de la valeur à ses clients. »
- celle d’IBM : « La transformation numérique adopte une approche axée sur le client et le numérique d’abord dans tous les aspects d’une entreprise, de ses modèles de gestion aux expériences des clients en passant par les processus et les opérations. »
Idem du côté des IA génératives qui fournissent de bonnes définitions, mais qui sont soit trop longues soit trop courtes :
- celle de ChatGPT : « La transformation numérique fait référence au processus par lequel les entreprises réinventent ou modifient leurs activités, processus et expériences en utilisant des technologies numériques. Ce processus vise à améliorer l’efficacité, à valoriser les interactions avec les clients et à s’adapter aux changements rapides du marché. Elle implique l’intégration de la technologie numérique dans tous les aspects de l’entreprise, entraînant des changements fondamentaux dans la manière dont l’entreprise opère et fournit de la valeur à ses clients.«
- celle de Gemini : « La transformation numérique, aussi appelée transformation digitale, est un processus holistique qui vise à intégrer le numérique dans tous les aspects d’une organisation afin d’améliorer ses performances et sa compétitivité.«
- celle de Copilot : « La transformation numérique est un processus essentiel pour les entreprises qui souhaitent s’adapter à l’ère numérique. Elle ne se limite pas à la simple adoption d’outils numériques par les entreprises, car c’est une opportunité de réinventer l’entreprise pour prospérer dans un monde de plus en plus connecté.«
- celle du Chat noir de Mistral : « La transformation numérique est le processus d’intégration des technologies numériques dans toutes les activités d’une entreprise ou d’une organisation, dans le but d’améliorer ses opérations, ses services et ses produits. Cela implique généralement des changements fondamentaux dans la façon dont l’entreprise opère et comment elle fournit de la valeur à ses clients.«
Finalement, je préfère m’en tenir à la définition que j’avais formulé il y a quelques années :
La transformation numérique désigne l’évolution du marché et des organisations qui cherchent à adapter leur offre, fonctionnement et pratiques aux enjeux du 21e siècle.
Je vous propose également ce schéma d’ensemble que j’utilise depuis de nombreuses années :
Je laisse à votre libre appréciation le choix de l’une ou l’autre de ces définitions, car elles sont toutes valides. Le problème est que la notion de transformation numérique reste nébuleuse et associée à un certain nombre de sujets plus ou moins techniques comme le cloud, la data, l’agilité et plus récemment l’intelligence artificielle ou la réalité mixte. Il en résulte un gros flou artistique que les vendeurs de solutions et prestataires diverses entretiennent pour élargir leur approche commerciale.
Vous noterez que cette confusion n’est pas récente, car j’écrivais déjà il y a 10 ans : « La transformation digitale est un chantier nécessaire, mais douloureux dont on ne perçoit pas les bénéfices » (cf. De l’Entreprise 2.0 à la transformation digitale). Entre temps, nous avons pu observer l’émergence et la montée en puissance de nombreux nouveaux usages ou technologies (no-code, machine learning, blockchain, métavers, Web3, modèles génératifs…). Tout ceci participe à une pression concurrentielle très élevée à laquelle les entreprises ne peuvent pas décemment répondre en vendant leurs produits sur une marketplace ou en équipant leurs salariés de webcams (cf. De l’incapacité des entreprises traditionnelles à s’adapter à l’accélération numérique).
Je peux tout à fait comprendre que la période est compliquée et que les priorités sont redéfinies, mais il est essentiel de rappeler que les changements de modes de vie impulsés par la généralisation des outils numériques sont irrémédiables. Retarder sa transformation numérique c’est accentuer le décalage entre une entreprise et son marché. Il n’existe aucun échappatoire : la transformation doit être profonde et définitive, car il n’y aura pas de retour en arrière.
Du New normal au No normal
Je ne vais pas refaire l’histoire, mais vous pouvez aisément constater avec votre expérience personnelle qu’initialement portés par des ambitions fortes il y a quelques années, les chantiers de transformation numérique se sont rapidement essoufflés passés les premiers hackathons. Plus récemment, l’objectif de transformer l’organisation pour la projeter dans le 21e siècle a été balayé par la COVID, faisant passer la continuer d’activité en priorité absolue. Et depuis… plus rien !
À ce sujet, je faisais le constat suivant en 2021 :
Adopter en urgence des logiciels en ligne parce que l’ensemble des salariés se retrouve en télétravail n’est pas de la transformation, c’est au mieux du bricolage, au pire de la survie.
De nombreuses entreprises et organisations vivent dans l’illusion d’un succès, alors qu’il n’en est rien : en basculant tout sur le numérique (réunions, fichiers…) elles n’ont fait que dupliquer les problèmes en s’extrayant des contraintes physiques / temporelles.
Nous sommes en 2024, et la situation a considérablement empiré, car nous ne nous sommes à peine remis des conséquences psychologiques et économiques de la pandémie, que nous avons été frappés par une crise sociale majeure, la guerre en Ukraine, l’inflation et la permacrise. Je ne sais pas quel est votre ressenti, mais j’ai parfois l’impression d’être dans une boucle perpétuelle de grèves, scandales, indignations, affaires d’état, catastrophes naturelles…
Il en résulte un coup d’arrêt pour les initiatives et ambitions de transformation numérique, car les entreprises se contentent des dernières victoires rapides du confinement (visio-conférences et click & collect) et consacrent l’essentiel de leur attention et ressources à leur survie quotidienne. Pourtant la transformation des entreprises est loin d’être effective, car elles ne sont toujours pas préparées à faire face aux défis du XXIe siècle.
Et encore une fois, le constat de la situation post-COVID est toujours d’actualité :
Il n’est plus question de tester ou d’expérimenter (voir si l’on est capable), mais de procéder à une réelle refondation : aider l’entreprise à faire sa « mue numérique » pour qu’elle puisse renouer avec la croissance, car son ancienne carapace est devenue trop étroite (modèles économiques limitants) et beaucoup moins efficace contre les dangers externes (nouvelles formes de concurrence, nouvelles régulations…).
Malheureusement, plutôt que de chercher à s’adapter aux nouvelles réalités et contraintes du marché, les entreprises préfèrent croire aux promesses des techno-prophètes…
Pensez-vous réellement que l’IA générative est la solution à tout ?
Cette semaine avait lieue la GPU Technology Conference de NVIDIA, l’occasion pour son CEO de nous présenter le nouveau fleuron de la gamme : la GB200 qui annonce une puissance de calcul de 20 pétaflops. En quoi est-ce que cette nouvelle super-puce qui sera commercialisée aux allentours de 40.000 $ va-t-elle vous aider à améliorer votre offre ou à fidéliser vos clients ? Je ne sais pas, mais plus de puissance c’est toujours mieux que moins de puissance, non ? … Non ?
La réalité que nous avons du mal à admettre est qu’avec l’intelligence artificielle, les entreprises se sont trouvé une nouvelle marotte, un miroir aux alouettes qui hypnotise littéralement les médias comme les managers en leur faisant croire aux vertus miraculeuses des modèles génératifs (The False Prophets of Artificial Intelligence).
Malheureusement, aussi réjouissantes que puissent être les dernières avancées technologiques dont nous sommes abreuvées toutes les semaines, nous savons tous que l’adoption de nouvelles technologies est toujours plus lente et compliquée qu’annoncée malgré tous ces progrès :
L’histoire se répète : nous avons déjà été témoins de l’arrivée sur le marché de nouvelles technologies très prometteuses, pour lesquelles il y a eu de nombreuses promesses et prévisions ultra-optimistes qui ne se sont pas réalisées.
Il n’y a et n’y aura pas de révolution provoquée par les IA, mais plutôt une évolution constante des façons de travailler, consommer, communiquer…
À quoi les modèles génératifs vont-il servir ? Une question taboue, que personne n’ose poser par peur de passer pour le pire des techno-réfractaires, mais qui permettrait néanmoins de clarifier ce gigantesque brouhaha médiatique :
Les médias et de nombreux pseudo-experts font toujours l’amalgame entre un modèle d’apprentissage profond (les transformeurs), un concept (l’intelligence artificielle) et un fantasme (les IA généralistes). Cette confusion participe à un brouhaha médiatique où se côtoient promesses délirantes, prévisions farfelues et arguments nébuleux, sans jamais aborder la question de l’utilité.
Générer plus de contenus ne va pas résoudre le problème d’infobésité, ni celui de la désinformation.
Quels problèmes essayons-nous de résoudre avec les IA génératives ?
Et pendant ce temps-là, nous passons à côté des sujets majeurs : transition énergétique, raréfaction des ressources, populisme…
Des bouleversements structurels pour lesquels l’IA générative ne sera d’aucune aide
Le monde est en train de changer. Ça, vous n’aviez pas besoin de moi pour le savoir. Mais savez-vous à quelle vitesse il change et quelle est la nature de ces changements ? Le rythme d’innovation étant très élevé, il est difficile de se rendre compte à quel point notre quotidien personnel et professionnel va changer dans les prochaines années.
Heureusement, certains cabinets de futurologie nous aident à y voir plus clair, notamment grâce à des publications de référence comme la récente dernière édition des Technology Trends du Future Today Institute : Amy Webb et la « génération Transformation » dans un nouveau supercycle technologique.
Vous noterez que ces tendances de fond ne datent pas d’hier (ou de la sortie de ChatGPT), elles sont la résultante d’évolution des usages et styles de vie depuis de nombreuses années. Déjà en 2022 j’écrivais :
Les conditions de marché, et plus généralement la société, que nous avons connu au XXe siècle sont définitivement balayées par la permacrise. […] C’est une réalité de marché qui reflète une évolution trop rapide de nos modes de vie, stimulée par l’adoption massive des outils et de terminaux numériques.
Les macro-tendances et grands enjeux qui vont façonner la civilisation numérique du 21e siècle
Nous assistons ainsi à la montée en puissance des bouleversements systémiques qui vont redéfinir l’économie et notre société, dont l’IA fait bien évidemment partie, mais n’en est qu’une composante, certainement pas la solution. Donc non, « se mettre à l’IA » ne résolvera rien, car il y aura toujours un décalage entre un marché pressurisé par les défis et opportunités du numérique, et des sociétés qui sont bloquées dans leur évolution :
Des structures juridiques du XIXe siècle avec des processus, méthodes et outils du XXe siècle, confrontées à un marché et des clients du XXIe siècle.
Nous savons tous au fond de nous quelles sont les causes profondes du problème (cloisonnement de l’information, processus trop rigides, circuits de décisions trop longs, outils informatiques obsolètes…), mais tout le monde semble déterminé à croire au miracle de l’intelligence artificielle. Comme le dit le proverbe : « AI is everything which is not working yet« .
Une situation intenable, d’autant plus avec un environnement législative de plus en plus contraignante (ex : DMA / DSA) et qui s’intéresse de très près aux modèles génératifs :
Il n’existe AUCUN secteur d’activité où la mise sur le marché d’un nouveau produit ou service n’est pas contrôlée ou à minima encadrée. Que ce soit pour une voiture, un vêtement, un jouet, un album, un film, un hôtel, un restaurant… Tous les nouveaux produits sont soumis à des règles pour éviter les dérives et protéger les consommateurs. Pourquoi cela serait-il différent avec les services en ligne reposant sur les modèles génératifs ? C’est pourtant ce qui est arrivé : des centaines de millions d’utilisateurs peuvent librement utiliser les différents modèles, pour le meilleur et pour le pire.
Une régulation souhaitable et nécessaire de l’intelligence artificielle
Récapitulons : les professionnels du numérique, les médias, les entreprises et les gouvernements des grandes nations n’ont plus qu’une seule obsession : l’IA générative. Certes, le potentiel est gigantesque, mais ses bénéfices ne se feront ressentir à un niveau macro-économique que dans de nombreuses années. Entre temps, il va bien falloir s’intéresser à nouveau à l’adaptation des entreprises aux nouvelles conditions de marché et habitudes des consommateurs, sinon elles vont accumuler une dette numérique qu’aucun modèle génératif ne pourra compenser.
Voilà pourquoi il est important de remettre la transformation numérique sur le devant de la scène, car les grands acteurs privés ou publics ne s’y intéressent plus. Même les grandes institutions délaissent le sujet, à l’image de l’OCDE dont le dernier rapport sur la transformation numérique remonte à 2019 : Measuring the Digital Transformation, A Roadmap for the Future. Idem pour le Forum Économique Mondial dont la section du site dédié à la transformation numérique est désertée au profit de celle sur l’IA : The Digital Transformation of Business.
Encore une fois, pour être certain qu’il n’y ai pas d’ambiguïté dans mes propos : je ne remets pas en cause le potentiel de l’intelligence artificielle, simplement je rappelle que c’est un moyen et non une finalité, que sa mise en oeuvre doit se faire dans le cadre d’un plan de transformation viable et cohérent.
De nombreux chantiers de transformation sont à l’arrêt
Comme expliqué plus haut, les entreprises focalisent toute leur attention sur l’intelligence artificielle et se contentent des « progrès numériques » réalisés pendant le confinement. Mais pendant ce temps-là, les chantiers sont à l’arrêt et la dette numérique se creuse…
Pour vous aider à y voir plus clair dans le reste à faire, je vous propose d’aborder le vaste sujet de la transformation numérique sous l’angle de 8 chantiers majeurs déjà abordés sur ce blog : 4 qui concernent les outils et méthodes de travail, et 4 en rapport avec le marketing.
Passer du paradigme des fichiers et emails à celui des bases de données et des communautés en ligne
Cela fait 40 ans que le quotidien professionnel des cols blancs est régi par les emails et les fichiers bureautiques. Tout basculer dans le cloud n’est pas une solution, mais une étape intermédiaire qui va nous permettre de sortir de ce paradigme :
Il y a une réelle nécessité de faire de l’accompagnement de proximité pour aider les collaborateurs à faire évoluer leurs habitudes. Ceci passe par une véritable rééducation : désapprendre les mauvaises habitudes prises sur les outils informatiques et apprendre à se servir efficacement des outils numériques pour faciliter la coordination / collaboration et maximiser la productivité (ne plus perdre son temps avec des fichiers et des réunions inutiles).
Déployer de nouveaux outils ne changera pas la donne, car l’important est de faire prendre conscience des mauvaises habitudes et d’adopter de nouvelle pratiques :
La dure réalité à laquelle nous refusons de nous confronter est que le problème ne vient pas des outils ou même de l’organisation, mais de nos habitudes. Ce sont toujours les mêmes causes qui engendrent les mêmes problèmes de perte de productivité, de mauvaise circulation de l’information, de pilotage à l’aveugle, de silotage des données et des connaissances…
Faut-il tuer l’email pour forcer l’adoption de la digitale workplace ?
Passer du couple CPU + logiciels à celui de NPU + assistants numériques
Cela fait plus de 40 ans que les ordinateurs individuels proposent la même architecture : un processeur associé à une puce graphique, un système d’exploitation et des logiciels installés sur un disque dur. Si elle nous a apporté satisfaction pendant plusieurs décennies, cette architecture n’est pas adaptée aux besoins des utilisateurs dont les usages vont petit à petit migrer vers des assistants numériques qui nécessiteront des composants spécifiques : des puces spécifiquement optimisées pour faire tourner des réseaux de neurones artificiels, les _Neural Processing Unit_s (NPUs).
Quand les premiers ordinateurs ont été introduits dans les entreprises, la priorité était de traiter de l’information, donc de numériser l’existant. Avons-nous encore des choses à numériser ? Je ne suis pas certain que plus de messages ou fichiers permettront d’améliorer la productivité, au contraire !
Nous sommes coincés dans le paradigme fichiers / emails depuis 40 ans où tout tourne autour des documents, institutionnalisés par les outils bureautiques qui forment les piliers de notre culture professionnelle. […] Nous ne sommes plus dans une recherche éternelle d’augmentation de la production (travailler plus pour produire plus), mais de rationalisation (travailler mieux pour produire mieux). Il y a une priorité à donner à la libéralisation des connaissances / données et à l’assouplissement des circuits de production / décision.
Les assistants numériques représentent le cinquième stade d’évolution des outils informatiques (après les systèmes centraux, les applications client / serveur, les logiciels en ligne et les applications mobiles), ils introduisent un changement radical dans les usages avec un fonctionnement en binôme, à l’image du HCM Digital Assistant d’Oracle dédié aux professionnels des RH.
Le chemin parcouru depuis les premiers agents conversationnels est énorme : près de 60 ans de R&D pour aboutir à des services comme Copilot ou Gemini. […] Il y a ainsi une vraie différence entre les chatbots et les agents intelligents qui sont capables de faire autre chose que de rédiger des réponses et d’agir en dehors de leur base de connaissances.
Passer de périphériques informatiques traditionnels (écran + clavier + souris) à l’informatique spatiale (réalité étendue + interfaces naturelles)
Croyez-le ou non, mais cela fait presque 60 ans que nous exploitons les ressources informatiques à travers un clavier, une souris et un écran 2D. Rajouter plus de touches sur votre clavier ou plus de pixels sur votre écran ne changera pas le donne. Pour pouvoir gagner en efficacité et profiter pleinement des nouveaux outils (les assistants cités plus haut), il nous faut de nouveaux périphériques qui puissent nous affranchir des limites que nous connaissons (affichage, saisie…) et libérer notre créativité.
La réalité étendue est assurément le nouvel eldorado des contenus et services numériques, le prochain cheval de bataille des big techs […] qui sont encore en phase d’exploration pour essayer de trouver la bonne offre, celle qui va proposer le rapport qualité / prix qui correspond le mieux aux attentes des futurs utilisateurs.
Que ce soit dans votre quotidien professionnel ou personnel, la nouvelle génération d’accessoires connectés proposant de la reconnaissance visuelle et une interface vocale amorce un changement radical dans nos usages numériques, mais il va falloir les comprendre et les accepter.
Avec le paradigme des assistants numériques, il suffit de lui dicter votre besoin pour qu’il trouve la solution (quelles ressources utiliser), voir qu’il l’anticipe (via des alertes et recommandations).
Les IA génératives (re)lancent le segment des accessoires connectés
Passer d’une organisation descendante (cycle projet en V, reporting / forecast) à des équipes projet autonomes (méthodes agiles)
Initialement réservées aux projets informatiques, des méthodes agiles comme SCRUM sont devenues extrêmement populaires auprès de managers souhaitant améliorer la cadence des activités quotidiennes en limitant les livrables et la durée des réunions. Une mécompréhension totale des fondements de la philosophie agile et surtout un moyen de pression supplémentaire pour des collaborateurs déjà au bord de la rupture.
L’agilité est devenue la coqueluche des acteurs de l’économie traditionnelle en recherche d’un second souffle, […] une notion fourre-tout où chacun y met ce qu’il veut, ce qu’il fantasme : la flexibilité extrême (moins de contraintes), la frugalité (moins de budgets), la livraison continue (des jalons plus courts)…
Sans rentrer dans le débat de la qualité de vie au travail (QVT), il me semble important de rappeler que le télétravail imposé par la COVID s’est presque systématiquement transformé en télésurveillance par webcams interposées. Un supplice pour de nombreux salariés qui n’ont plus le temps de faire ce pour quoi ils sont payés, un comble !
Dans la majorité des entreprises, on s’obstine à vouloir perpétuer une organisation, des méthodes, outils et modalités de travail héritées du siècle dernier. […] Un quotidien professionnel dysfonctionnel où tout le monde semble piégé dans une boucle temporelle avec une succession de visioconférences auxquelles ont assiste de façon mécanique par peur de se faire reprocher un manque d’implication. […] Plus de reporting ou de middle managers ne feront pas la différence, car le but de la manoeuvre n’est pas de pousser les collaborateurs à travailler plus, mais à travailler mieux, passer de la quantité à la qualité.
Futur du travail : parler moins pour mieux collaborer et produire plus
Passer du multi-canal (plusieurs canaux numériques qui cohabitent) à l’omni-canal (un écosystème numérique intégré)
La multiplication des canaux numériques représente un authentique casse-tête pour les entreprises qui doivent jongler entre plusieurs systèmes informatiques avec des prospects, clients et activités en doublon. Puisqu’il n’est vraisemblablement plus viable pour une marque d’exploiter tous ces canaux, il convient maintenant de rationaliser les activités marketing / communication pour limiter les coûts d’acquisition et garder un minimum de contrôle.
Il est impossible de continuer à faire comme avant, c’est-à-dire d’investir toujours plus en acquisition de trafic non qualifié. […] Plutôt que de vouloir exploiter toujours plus de canaux numériques, les marques et organisations devraient au contraire concentrer leurs efforts sur les supports les plus pertinents. […] L’important est de lutter contre le cloisonnement des pratiques et favoriser l’intégration des différents actifs numériques dans des parcours de transformation.
La rationalisation de votre écosystème numérique passe par des scénarios de conversion
Passer du commerce physique et en ligne (numérisation du catalogue et de la caisse) au commerce multi-modal (DTC + abonnement)
De (trop) nombreuses marques ont vu dans la montée en puissance du commerce en ligne un moyen de baisser les coûts de distribution pour améliorer leurs marges. Elles se rendent compte maintenant que c’est une activité ultra-compétitive que seule une poignée de grands acteurs parvient à rentabiliser. L’hégémonie des marketplaces leur permet ainsi de verrouiller la relation avec les consommateurs et de mettre encore plus de pression sur les fournisseurs. La seule issue possible semble être de vendre en direct, une stratégie très complexe à mettre en oeuvre pour des entreprises qui pratiquent la vente indirecte depuis de (trop) nombreuses années.
Les marques traditionnelles sont encore engluées dans une culture magasin, alors que les DNVB revendiquent une culture data. […] La principale caractéristique des DNVB, outre de faire un usage intensif des canaux et supports numériques, est d’opérer à petite échelle pour pouvoir internaliser quasiment toutes les activités, conservant ainsi un maximum de contrôle, et une communication affinitiare ciblée. Il en résulte une offre et une expérience qui se distingue nettement des marques traditionnelles.
Outre le commerce en ligne, c’est l’avènement du smartphone qui a profondément bouleversé les habitudes et attentes des consommateurs. Un domaine jalousement gardé par Apple et Google qui imposent leurs règles et redéfinissent les dynamiques de marché.
Dans un quotidien rythmé par les contenus et services numériques, les hypermarchés censés faciliter la rencontre entre l’offre et la demande sont aujourd’hui éclipsés par les smartphones qui nous accompagnent dans notre quotidien.
60 ans de grande distribution chamboulées par les outils numériques
Passer de la publicité proclamatoire (la réclame) à la centricité client
Saviez-vous que les premières affiches publicitaires ont été posées par Jean-Alexis Rouchon en 1844 ? 180 ans plus tard, nous continuons à perpétuer cette tradition avec les bannières et autres publicités natives. Cette longévité explique certainement la réticence des marques à dévier de leurs habitudes de communication et de la sempiternelle publicité proclamatoire (ex : « Ma lessive lave plus blanc »). Pourtant, les consommateurs ne sont pas dupes et sont très prompts à identifier et adopter de nouveaux moyens d’acheter toujours plus à moins cher (ex : Shein).
Les marques ne sont jamais en contact direct avec les clients (les campagnes de publicité passent par des agences, la vente des produits se fait à travers des distributeurs, le support-clients grâce à des prestataires spécialisés….). Résultat : elles ne disposent pas des moyens simples et directs pour comprendre le marché et servir aux clients ce qu’ils valorisent le plus. Tout ce qu’elles savent faire, c’est briefer des sous-traitants pour mettre sur le marché des produits / services banalisés et dépenser une part significative de leurs revenus dans des opérations de promotion.
De l’incapacité des entreprises traditionnelles à s’adapter à l’accélération numérique
Plus que des prix bas, répondant à une logique d’accumulation qui n’est plus compatible avec les enjeux environnementaux, les consommateurs sont à la recherche d’expériences valorisantes et de solutions à leurs problèmes. Seules les marques capables de fournir ces solutions et définir ces expériences ont une chance de survivre dans ce XXIe siècle qui ne fait plus de cadeaux.
L’expérience utilisateur est ce qui différencie un consommable d’un produit. […] L’expérience est ce qui garantit la valeur perçue, donc la marge. […] Dans un monde où les concurrents sont à un clic, où il n’est plus possible de se différencier par le choix, les prix bas, le référencement ou les techniques de growth hacking, l’expérience EST le business. Sans une expérience enrichissante, vous n’êtes qu’un fournisseur lambda, complètement banalisé, celui que l’on délaissera à la première promotion venue ou à la première alternative plus économique. Améliorer l’expérience utilisateur, c’est s’assurer que ce que l’on a à vendre couvre un besoin réel, pas un besoin artificiellement implanté dans la tête des consommateurs à grand renfort de publicités.
L’important n’est pas ce que vous avez à vendre, mais le service que vous rendez à vos clients
Passer des cartes de fidélité et bons de réduction aux communautés de clients
Si nous avons tous conscience des limites de ces pratiques, les prix bas restent l’arme commerciale préférée des marques, car elle a le mérite de provoquer une solution immédiate à un besoin urgent (augmenter le C.A.). Un jeu extrêmement dangereux qui précipite les marques dans une spirale descendante dont seuls les fabricants et distributeurs chinois sortiront gagnants.
Les gains de compétitivité ne sont plus à gagner dans la recherche d’efficacité (pomper plus vite, tels des shadoks), mais dans l’optimisation de l’expérience client. […] Nous ne sommes plus dans une logique de conquête, mais de satisfaction : s’assurer que les clients soient pleinement satisfaits et qu’ils recommandent la marque dans leur entourage. […] Dans un contexte économique où le temps et l’attention sont les ressources les plus rares, où l’on paye à l’utilisation et où l’on peut se faire livrer gratuitement le lendemain, l’expérience client est le nouveau levier de différentiation, et plus les prix bas.
Au-delà de l’expérience client ou de l’attachement à la marque, la fidélité des consommateurs est très fortement éprouvée en cette période de forte pression sur le pouvoir d’achat. Seules l’excellence opérationnelle et une approche radicale du marketing peuvent faire barrière à la recherche d’alternatives économiques. Deux impératifs très compliqués à mettre en oeuvre au sein d’entreprises qui sont habituées à des offres banalisées et standardisées.
Il y a une dynamique communautaire à appréhender, un fonctionnement à comprendre et des règles à respecter : […] les communautés en ligne se fédèrent autour de projets ou d’intérêts communs, elles ne sont pas de simples audiences qu’il faut « adresser » (des cibles que l’on bombarde de messages publicitaires).
Ces 8 chantiers majeurs sont bien évidemment génériques. Il se peut que votre entreprise ou organisation soit bien avancée dans l’un ou l’autre, mais cette liste est loin d’être exhaustive, elle est le reflet d’une dette numérique qui se creuse tous les jours.
ChatGPT ne vous sauvera pas, au contraire !
Comme vous pouvez le constater, tous ces chantiers impliquent d’énormes changements de nature techniques, commerciaux, organisationnels, culturels… C’est en cela que la transformation numérique est très loin d’être achevée, car tout ce qui a été accompli jusqu’à présent ne correspond qu’à une préparation aux changements, mais pas aux changements en eux-mêmes. Ainsi, ne sous-estimez pas le reste à faire, car il est gigantesque et implique nécessairement de fortes répercussions sur les différentes activités. Le genre de changements qui nécessitent une profonde remise en question, pas simplement l’achat de quelques licences ChatGPT ou Copilot.
Le plus gros défis selon mon expérience est de nature culturelle, car la principale difficulté de la transformation numérique n’est pas de déployer de nouveaux outils, mais de faire prendre conscience aux collaborateurs des enjeux du numérique. Ceci passe nécessairement par une phase d’acculturation pour aider les salariés à identifier, comprendre et accepter les nouveaux usages et pratiques numériques.
La dette numérique des entreprises se creuse et accentue la pression sur des collaborateurs dont on exige une remise à niveau naturelle et permanente alors qu’ils n’ont jamais été correctement formés et accompagnés. […] Une situation qui perdure depuis des décennies : depuis les premières vagues d’informatisation où de lourds investissements ont été réalisés dans les outils informatiques (ordinateurs, réseau interne, logiciels…) tandis que les salariés devaient se former sur le tas.
La dyspraxie numérique est un frein majeur à votre transformation digitale
Selon cette dynamique, brandir l’intelligence artificielle comme solution universelle est absolument contre-productif, car les tenants et les aboutissants des modèles génératifs sont largement méconnus et surtout mal compris par les collaborateurs. Pour vous en convaincre, il vous suffit de découvrir les résultats du 11ème édition du Baromètre de la confiance des Français dans le numérique publié par l’ACSEL : 60% des sondés pensent que l’intelligence artificielle représente une menace pour l’emploi en général, mais seulement 37% pour leur emploi.
Une nouvelle fois : je ne critique pas l’intelligence artificielle, mais son élévation au statut de solution universelle à tous les problèmes des entreprises. Les vendeurs de solutions essayent de nous faire croire que l’adoption de l’IA est la condition sine qua non de la transformation numérique, mais c’est en réalité l’inverse : aucune entreprise ne pourra tirer de bénéfices concrets de l’adoption de l’IA sans une transformation organisationnelle et culturelle, car les collaborateurs ne sont pas prêts (habitudes de travail et mentalités).
Plutôt que de former vos collaborateurs aux techniques de prompt, apprenez-leur à éteindre leur ordinateur le soir et à mieux se servir de l’email.
Intelligence artificielle : Nous n’avons pas besoin de plus de contenus, mais de meilleures analyses
Tout ceci converge vers une nécessaire prise de recul des entreprises vis-à-vis de cette frénésie autour de l’IA générative et d’une réflexion de fond pour identifier les problèmes les plus urgents et définir les priorités les plus pertinentes. En résumé : s’adapter de façon durable aux nouvelles conditions de marché, avec une feuille de route de transformation numérique cohérente pour pouvoir faire face à la permacrise avec des solutions viables, pas de simples placebos dopés à l’IA générative.
Si vous souhaitez relancer votre transformation numérique et préparer vos collaborateurs aux changements à venir, je vous rappelle que j’ai récemment lancé une offre d’acculturation numérique avec trois programmes d’accompagnement de vos équipes pour évaluer la maturité numérique de votre organisation et accélérer sa transformation numérique.