La collaboration est un Graal que poursuivent toutes les entreprises,. Elle ignorent que, si elle est utile, elle a aussi un coût important.

Dans un monde de plus en plus complexe, la collaboration est devenue un objectif incontournable. Dirigeants et consultants vantent ses bénéfices : innovation accrue, partage des connaissances, agilité organisationnelle et performance collective optimisée. Pourtant, les efforts parfois très importants pour la développer donnent des résultats décevants. L’impératif de collaborer reste souvent lettre morte : chacun retourne dans son silo. Pourquoi la collaboration, dont l’intérêt est a priori si évident, est-elle si difficile ? Parce qu’elle a un coût important.

L’historien et anthropologue américain Joseph Tainter, dans ses travaux sur l’effondrement des civilisations, apporte un éclairage particulièrement pertinent à cette problématique. Selon lui, au fur et à mesure qu’une société évolue vers une plus grande complexité, les coûts de cette complexité imposés à chaque individu augmentent également, de sorte que la population dans son ensemble doit allouer une part croissante de son ‘budget’ (temps, attention, énergie, etc.) au maintien des institutions organisationnelles. En fin de compte, la société s’épuise parce qu’elle est trop complexe. Elle finit par s’effondrer, c’est-à-dire à se décomposer en unités plus petites qui n’ont plus besoin de collaborer. Le système retourne alors à un niveau acceptable d’énergie nécessaire à sa maintenance.
Cette dynamique s’applique également au monde de l’entreprise : chaque initiative collaborative introduit de nouveaux niveaux de complexité organisationnelle qui nécessitent des ressources dédiées pour être maintenus et coordonnés.
Le cas de ce cabinet de conseil technique est typique. L’évolution technologique, notamment liée au digital et à l’IA, rend ses métiers historiques (travail de conformité) de plus en plus banalisés. En réaction, il a entrepris de se développer sur de nouveaux services à valeur ajoutée comme le conseil et l’accompagnement des dirigeants. Mais là où les métiers historiques étaient relativement normés, faits de façon individuelle, avec une infrastructure légère, cette évolution nécessite un travail en équipe faisant appel à des spécialistes de différentes régions. L’organisation est plus complexe et nécessite un investissement considérable. Après des années à pousser cette évolution, le cabinet se rend aujourd’hui compte que la valeur ajoutée des nouveaux services ne couvre pas forcément les coûts de coordination induits, d’autant que ceux-ci ont été sous-estimés. Il est aujourd’hui pris en tenaille entre la nécessité de développer une approche collaborative pour sortir des métiers traditionnels en déclin et la réticence très forte de certains associés qui questionnent le sens économique de la nouvelle approche, non sans raison.
Lorsqu’une entreprise développe la collaboration, en effet, elle ne fait pas qu’ajouter des outils ou des processus : elle crée un système de dépendances qui demande un entretien constant. Chaque employé doit désormais consacrer une part de son temps et de son énergie à naviguer dans cette complexité collaborative. Les réunions de coordination se multiplient, les canaux de communication se diversifient, et les processus de validation s’allongent. Il faut recruter des chefs de projets et des coordinateurs. Il faut alimenter un système d’information pour gérer les projets collaboratifs. Cette collaboration représente donc un coût; elle correspond à une forme de taxe prélevée par le système sur les activités quotidiennes de ses membres.
Cette ‘taxe’ collaborative ne représente pas juste un coût direct. Elle représente également un coût d’opportunité majeur : le temps consacré à la coordination est soustrait à la production de valeur directe. Plus grave encore, cette charge cognitive constante épuise les ressources mentales des collaborateurs, affectant leur capacité de concentration et leur performance sur leurs tâches principales. La collaboration se fait aux dépens de l’activité quotidienne de l’entreprise, ce qui explique pourquoi le retour au silo est une tentation si forte, et au fond si rationnelle.
Plus une organisation développe ses capacités collaboratives, plus elle génère de procédures, de rôles spécialisés et de structures de gouvernance. Ces éléments, initialement conçus pour fluidifier les interactions, deviennent en fait des points de friction qui ralentissent la prise de décision et diluent les responsabilités. L’entreprise se retrouve alors dans ce que Tainter décrit comme une spirale de complexité croissante, où elle doit investir davantage de ressources pour maintenir un niveau de collaboration qui devient de moins en moins efficient. Seule une création de valeur très forte obtenue grâce à la collaboration peut justifier cela, ce qui est très difficile, et met de toutes façons beaucoup de temps à se matérialiser.
De l’incantation au calcul rigoureux
La collaboration doit donc être abordée comme un investissement stratégique avec un calcul rigoureux du retour sur investissement. Il convient d’identifier le point d’équilibre optimal où les gains de synergie compensent les coûts de coordination, avant que l’organisation n’atteigne son seuil de complexité critique. Cet arbitrage est essentiel. C’est ce seuil qu’il convient d’identifier de manière pragmatique. Au-delà de ce seuil, la collaboration coûte plus qu’elle ne rapporte. L’expérience montre qu’il est toujours plus bas qu’on ne croit tant la collaboration est sacralisée, présentée comme un bien absolu.
Pour qu’elle devienne une réalité, la collaboration nécessite donc une approche disciplinée qui privilégie la simplicité des interfaces, la clarté des rôles et la mesure systématique de la valeur créée par chaque initiative collaborative.
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